Réflexions sur les inondations catastrophiques en Afrique : de l'émotion superstitieuse à  la raison écologique (1ère partie)
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Réflexions sur les inondations catastrophiques en Afrique : de l'émotion superstitieuse à  la raison écologique (1ère partie) :: AFRICA

Je dédie cette publication à mon  regretté frère Mohamed Delmas Konaté et à toutes les victimes des inondations catastrophiques en Afrique. L’eau, nous dit-on sans doute avec raison, c’est la vie.

Pourtant, l’eau qui inonde, noie et tue est l’une des plus anciennes angoisses de l’espèce humaine. Submersion temporaire, naturelle ou artificielle d’un espace par de l’eau liquide, l’inondation défraie la chronique des hommes depuis la nuit des temps. On  retrouve notamment cette angoisse apocalyptique dans le thème du déluge, chez les anciens négro-égyptiens en Afrique, chez les mésopotamiens contant leur terrible Gilgamesh en Asie, dans la Thora des Juifs et dans la Bible chrétienne, tout comme dans le Coran des Musulmans au Moyen-Orient, avec l’histoire du déluge de Noé. Selon ce dernier mythe devenu universel avec l’évangélisation et l’islamisation des peuples, l’eau diluvienne des pluies torrentielles aurait servi et pourrait servir à exprimer la colère de Dieu ou des dieux envers les humains. Les catéchumènes que nous fûmes se souviendront toujours avec effroi des quarante jours et quarante nuits durant lesquels les méchants et le reste de la création laissés hors de l’Arche du salut de Noé, furent anéantis par les eaux libérées des abîmes originelles. Et la belle chanson «  Dji » - L’Eau en malinké- d’Alpha Blondy pleurant son ami Salia, subtilement analysée par le Professeur Yacouba Konaté, ne nous dit-elle pas l’ambivalence et l’imprévisibilité légendaire de l’eau, source de vie ou de mort ? La tentation de passer de la terreur à la superstition n’en est que plus forte. Faut-il alors en déduire que les inondations de plus en plus nombreuses qui frappent l’Afrique des métropoles et des campagnes ne sont que l’expression de la malédiction de Dieu envers le continent noir, dont certains idéologues politico-religieux n’ont pas hésité à attribuer la descendance à Cham, le fils maudit du même patriarche Noé ? Ce serait trop facile.  Le présent écrit est justement consacré à opérer trois gestes de pensée qui me paraissent absolument urgents : 1) Expliquer rationnellement le phénomène récurrent des inondations catastrophiques en Afrique contemporaine, en en montrant les formes, les causes et les conséquences objectives ; 2) Montrer les responsabilités anthropiques et humaines, engagées dans ces inondations catastrophiques à travers l’Afrique ; 3) Esquisser enfin des voies de salut africaines, à partir de la mise en œuvre d’un nouveau contrat politico-écologique collectif dans tous les pays concernés et à travers tout le continent. IL me semble en effet que ce n’est qu’à partir de ce triple geste que les opinions africaines peuvent émerger de la prison de l’émotion qui entoure le des inondations catastrophiques, pour entrer, grâce à la raison critique et à la foi des humbles, résolument dans la sphère de la responsabilité du contrat politico-écologique et spirituel qui sauvera l’Afrique.
 
Comprendre rationnellement le phénomène des inondations catastrophiques : contre la terreur superstitieuse et les opportunismes
 
            Pour comprendre ce phénomène, débarrassons-le d’abord des nombreuses toiles d’araignée dont certains acteurs des sociétés africaines contemporaines le recouvrent.
            Sous nos tropiques, il y a au moins trois impostures régulièrement observables lorsque des inondations catastrophiques frappent nos villes et campagnes africaines : l’attitude magico-religieuse ; l’attitude fataliste des citoyens et de certains politiques ; l’attitude indigne des opportunistes politiques qui consiste en la bouc-émissarisation réciproque des groupes d’intérêts en présence. Analysons ces trois fausses solutions.
 
La superstition
 
            Les réflexes élémentaires de la pensée animiste qui voit des esprits partout et les acquis des religions révélées en Afrique qui diffusent des illusions de manipulation permanente des hommes par les esprits, déterminent une bonne partie des réactions des citoyens quand les villes et campagnes se retrouvent sous les eaux d’inondations. On explique trop facilement en Afrique, tout le visible par l’invisible, au point d’en venir à ignorer l’enchaînement causal des choses visibles. Œuvres d’anges ou de démons, les inondations appartiendraient au cortège des phénomènes naturels d’origine surnaturelle. Pour bon nombre d’africains par conséquent, l’inondation meurtrière, c’est la punition des dieux envers les hommes pécheurs.  Certains Prêtres, Imams et Pasteurs populaires à travers le continent n’hésitent pas trouver ici un thème fructueux pour leurs offices enflammés et souvent juteux. Langage du ciel mystérieux, l’eau qui tue est aussi perçue comme purificatrice. Suprême paradoxe. Les dieux nous puniraient pour nous ramener sur le droit chemin. Drôles de dieux bien cyniques ! Pourtant, nul ne niera une évidence : ce sont rarement les africains les plus nantis qui pâtissent des inondations catastrophiques. Elles frappent très gravement, en priorité, les pauvres, les habitations précaires de nos bidonvilles, les femmes et les masses paysannes. Peut-on dès lors dire que Dieu ou les dieux prennent pour cibles les plus faibles ? Quelle religion traditionnelle ou révélée africaine pourrait se revendiquer d’un Dieu qui tue le pauvre, l’orphelin, la veuve, le malade et l’étranger ? Qui épargne ceux qui détournent les richesses publiques, protègent les puissants de son eau vengeresse, pour se défouler sur les faibles ? L’attitude magico-religieuse ordinaire face aux inondations montre ici son absurdité, à moins qu’on ait compris, dans une perspective spirituelle profonde que Dieu, en tant que Créateur, Idéal ou Principe absolu, offre à l’humain l’intelligence et l’amour du prochain comme voies de salut dans la Nature. Et dès lors, que Dieu ne saurait, bien compris, vouloir le malheur des hommes.
 
Le fatalisme
 
            L’attitude fataliste des citoyens et de nombreux responsables politiques africains est non moins condamnable. Elle consiste à considérer que les inondations catastrophiques sont des fatalités, des événements contre lesquels on ne peut rien, avec lesquels ont doit hélas vivre, en les acceptant comme tels et en se débrouillant pour survivre entre leurs régulières survenues. L’inondation, nous disent ces fatalistes à la manière de  Pangloss dans Candide de Voltaire, font partie du « meilleur des mondes possibles ». N’est-ce pas justement ainsi que des citoyens africains achètent aveuglément des terres de construction, des maisons bâties, sans la moindre considération des risques écologiques qui y sont liés ? N’est-ce pas ainsi qu’au mépris des préconisations de leurs propres ingénieurs urbanistes, de nombreux Etats et gouvernements africains, gangrenés par la corruption, cèdent des terres avérées inondables aux promoteurs immobiliers, aux investisseurs nationaux et étrangers, en confiant au fatum les conséquences tragiques pourtant aisées à prévoir et à anticiper ? Véritable argument paresseux, le fatalisme africain face aux inondations catastrophiques est une politique de la démission et de l’intérêt immédiat. IL masque mal une civilisation de la jouissance aveugle du présent, qui s’abrite maladroitement derrière l’abandon à une Nature jugée imprévisible parce qu’on ne veut pas assumer les conséquences de nos bien humaines négligences.
 
            L’opportunisme politique
 
            L’adage qui dit qu’un malheur ne vient jamais seul se vérifie encore. Comme des charognards signalent la présence de cadavres, l’opportunisme politique rôde toujours près des tragédies. Cette imposture face aux inondations catastrophiques en Afrique consiste pour certains groupes à en profiter pour tirer en quelque sorte la couverture de leur côté dans l’opinion publique. Ces groupes opportunistes africains appartiennent tantôt aux pouvoirs, tantôt aux oppositions en place.

            Côté pouvoirs, l’opportunisme consiste souvent à se réfugier derrière les grandes causes du dérèglement climatique mondial, pour se décharger de toute responsabilité face aux dégâts causés par les désastres au plan local. Les pouvoirs africains, par opportunisme, aiment bien à dire : «  Vous le voyez bien, ce phénomène a lieu partout dans le monde : en France, aux Etats-Unis, en Chine, en Angleterre, etc. Si des grandes puissances le subissent, combien de fois nous, pays pauvres et très endettés d’Afrique ? » . D’autres vont même jusqu’à dire que si l’Afrique est victime de ces inondations, c’est avant tout la faute des grandes puissances polluantes de la planète. Et voilà des boucs-émissaires de belle facture, offerts à la vulgate de l’anticolonialisme dogmatique. Pourtant, cette explication opportuniste oublie de souligner les efforts exceptionnels que de nombreux pays du monde fournissent pour protéger leurs populations contre les inondations catastrophiques. On oubliera volontiers en Afrique de citer un exemple des Pays-Bas, situés en-deçà du niveau de la mer, pourtant si habiles à affronter les inondations catastrophiques…

            L’opportunisme des pouvoirs africains botte en touche le défaut d’intégration panafricaine sur le plan écologique. Les sommets régionaux et continentaux dont les résolutions pourtant pertinentes en tous domaines, restent lettre morte depuis des décennies. Or, la véritable échelle de mesure devrait consister à comparer les efforts fournis, à moyens comparables, par de nombreux pays du monde moins riches que les Etats africains. Comprendre pourquoi Singapour et Taiwan ou la Corée du Sud, moins riches que le Cameroun ou la Côte d’Ivoire en 1960, sont largement passés devant eux ! On verrait alors que ce n’est pas faute de moyens, mais surtout par défaut de volonté politique et de rigueur gouvernementale que nos métropoles africaines demeurent des mouroirs populaires en temps d’inondation.

            Côté oppositions, l’opportunisme consiste à attribuer de manière unilatérale et systématique, les inondations catastrophiques africaines aux pouvoirs en place. Y compris quand les oppositions sont constituées d’anciens tenants du pouvoir qui ont fait encore pire dans le passé face aux mêmes phénomènes décriés. On feint d’ignorer qu’une politique de sécurité de l’habitat se construit sur plusieurs décennies et qu’un seul, voire deux mandats présidentiels suffisent rarement à mener les meilleures politiques d’urbanisme et de sécurité de l’habitat à leur terme satisfaisant.

            On feint donc, entre opportunistes des pouvoirs et opportunistes d’opposition, d’ignorer que la sécurité de l’habitat, la protection de l’environnement, la sauvegarde des acquis du développement durable ne peuvent être réalisées que si ces questions s’inscrivent dans le domaine de l’intérêt général, par-dessus les querelles de partis et de leaderships individuels.

            IL n' y a donc rien de plus ridicule que l’apparition médiatique de ces politiciens opportunistes qui, en l’espace d’une tragédie et à l’affût de tous les flashes et de tous les raccourcis sans lendemains, croient pouvoir incarner, par leurs seules déclarations et compassions bien jouées, les solutions structurelles attendues  et incontournables. Non, mesdames et messieurs les politiciens, la compassion surmédiatisée et l’humanitarisme à la sauvette ne suffiront jamais à protéger les villes et campagnes d’Afrique des inondations catastrophiques qui les menacent de mort durable.

            IL faut donc sortir de la superstition magico-religieuse, du fatalisme collectif et de l’opportunisme politique pour comprendre et maîtriser le phénomène des inondations catastrophiques en Afrique. Donnons-en présent une définition, des causes  objectivement reconnues de par le monde et à travers l’Histoire de l’espèce humaine. On consulte à présent les données des deux sciences spécialisées dans ce domaine : l’hydrologie de surface et la cindynique,[1] encore appelée science du danger, du grec kindunos, qui signifie danger.

            L’inondation, nous l’avons dit, est un phénomène de submersion temporaire, naturelle ou artificielle d’un espace par de l’eau liquide. Ce phénomène peut avoir diverses causes :
-          Le débordement d’un cours d’eau en crue puis en décrue sur des terrains voisins
-          Le ruissellement très important, soit sur des terres cultivées (inondations boueuses), soit en zone imperméable urbanisée (Les constructions humaines réduisent la surface d’aspiration de l’eau par la terre)
-          Le débordement ou les conséquences de la rupture d’ouvrages artificiels hydrauliques tels que les retenues d’eau, les digues, les canalisations, ou la rupture d’une retenue naturelle
-          La remontée émergente d’une nappe phréatique
-          L’envahissement temporaire par la mer d’une zone côtière lors d’une submersion marine
-          L’élévation des océans
 
            Cependant, on[2] s’accorde à reconnaître que les inondations catastrophiques que nous observons de plus en plus à travers le monde ont des causes anthropiques directes, des causes humaines directes et des causes humaines indirectes. Au rang des premières, l’urbanisation, le drainage, l’irrigation, la dégradation des sols et l’agriculture intensive (avec notamment la déforestation qui l’accompagnent), accélèrent le ruissellement de l’eau et en limitent l’infiltration dans les sols. Au rang des causes humaines directes, on souligne l’impact des barrages et des écluses qui modifient la pente naturelle des eaux. Au titre enfin des causes humaines indirectes, on cite l’émission massive des gaz à effet de serre qui accélèrent la fonte des glaciers, provoquent la montée du niveau des océans et des cours d’eau, favorisent la formation de cyclones de plus en plus intenses qui contribuent aux modifications climatiques globales que certains conservatismes aveuglés par le profit s’acharnent à nier ou à minorer. On sait ainsi que de 1996 à 2005 par exemple, 80% des catastrophes naturelles étaient d’origine météorologique ou hydraulique. On sait aussi que 136 des principales métropoles littorales du monde- parmi lesquelles nos villes d’Abidjan, de Dakar, ou de Douala – devraient connaître des inondations catastrophiques qui pourraient coûter 1000 milliards de dollars par an de 2010 à 2050[3]…

            Dès lors, qui ne voit donc pas que les inondations catastrophiques ont des causes éminemment humaines[4], qui engagent nos responsabilités africaines en vue de la mise sur pied de véritables politiques écologiques nationales, régionales et continentales de l’habitat, de l’environnement et de la sécurité vitale ?
 
Dans la 2ème partie de la présente contribution, nous aborderons justement les conséquences et les solutions idoines du phénomène des inondations catastrophiques en Afrique. Affaire à suivre donc.

[1] Kervern, G.Y. et Boulenger P., Cindyniques, concepts et mode d’emploi, Paris, Economica, 2007
[2] G. Jousse, Traité de Riscologie, Inestra Editions, 2009
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Inondation Les données mobilisées dans cet article ont été largement puisées dans cette référence plutôt synthétique et mesurée.
[4] Michel Lang, Denis Cœur, Les inondations remarquables du XXè siècle, Editions Quae, 2014

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