Cameroun ::Crise anglophone : Quels prolégomènes à  un dialogue inclusif réussi entre Camerounais ?
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Cameroun ::Crise anglophone : Quels prolégomènes à  un dialogue inclusif réussi entre Camerounais ? :: CAMEROON

La longévité du pouvoir de Yaoundé n’a pas seulement pour effet le désespoir de plusieurs compatriotes, mais aussi un obscurcissement de notre raison. Les compatriotes déçus, à mon humble avis majoritaires, sont, soit empêtrés dans une pauvreté trentenaire, soit, ce qui revient au même, laissés-pour-compte par la gouvernance actuelle. Ceux qui perdent leur latin suite au déboussolage de leur raison, sont les signes pertinents des dégâts profonds et multidimensionnels qu’un pouvoir, aussi longtemps castrateur, peut infliger aux corps, aux cœurs et aux esprits. C’est connu, les pires souffrances entraînent souvent chez les victimes un rêve du néant, les pires défaites un besoin de refaire le monde pour les malheurs de ses vainqueurs, et les pires trahisons une tentation de promouvoir le chaos pour tous et partout.

La crise anglophone qui ponctue le quotidien de notre pays est tant ce que l’histoire nous apprend et nous rappelle sur le Cameroun, qu’un ensemble de questions que cette même histoire pose à notre société, à nos dirigeants et à chacun des citoyens camerounais. Le pays est donc à ce qu’on peut appeler un moment-carrefour. Temps où notre arbitrage va sceller le sort de son destin. Allons-nous nouer un pacte faustien avec ladite histoire en soutenant le chaos, c’est-à-dire une sécession qui signe tant la défaite de notre raison que celle de notre pays dans son ensemble ? Allons-nous, sans fournir un dispositif crédible au dialogue entre Camerounais, continuer à assimiler les autres aux Attila en oubliant qu’Attila initia la fin de Rome ? Allons-nous, sans renoncer, ni à la critique, ni à une veine contestataire de la forme de pouvoir instaurée au Cameroun depuis 1960, apporter notre contribution pour la continuité du Cameroun, objet politique qui va au-delà de nous et de notre passage sur terre ?

Dans cette dernière direction, la seule dans ses compétences, le Cercle de Réflexions Economiques Sociales et Politiques (CRESPOL), propose, par la voix de son fondateur et animateur, ce qu’on peut appeler les prolégomènes à un dialogue inclusif et réussi entre Camerounais. Cette préface à un dialogue inclusif entre Camerounais se décline en vingt lois provisoires :

1. La crise anglophone pose un problème général d’exercice du pouvoir, de sa forme, de sa répartition, de son identité et de ses résultats. C’est une question possible de la part de tous les Camerounais, de toutes les ethnies et de toutes les sensibilités. La résoudre demande une décentralisation démocratique, solidaire et concurrentielle du pouvoir de façon à sortir des revendications particularistes via une innovation générale de la forme du pouvoir et de son exercice sur le triangle national.

2. Faire un inventaire objectif et subjectif des facteurs multiplicateurs de conflits entre le pouvoir en place depuis 1960 et les compatriotes anglophones. La clé de la réussite du dialogue inclusif se trouve à la fois dans la désactivation des paramètres confligènes et le désamorçage de leurs multiplicateurs dans tout le Cameroun.

3. Un Etat-nation est une invention idéelle et idéale dont la matérialisation durable exige une remise incessante du projet commun à l’ouvrage du travail politique sans lequel chacun rentrerait aux revendications primordialistes.

4. Personne n’est ni complètement coupable, ni complètement innocent sur ce qui arrive au pays. Vous êtes tous juges et parties dans vos positionnements respectifs. Dans les débats, respectez et tirez les conclusions utiles de cette conjonction inextricable.

5. L’impératif d’assumer un point de vue doit être capable de coexister avec l’impératif de changer de point de vue.

6. Vous devez écouter les murmures et les clameurs qui montent de la société camerounaise, veuillez à ne pas sacrifier l’innovation politique à ces murmures et clameurs, mais évitez de ne jamais les prendre en considération afin d’inspirer l’innovation politique.

7. Pour votre inspiration, n’oubliez pas de faire dialoguer le présent, le passé et le futur de notre pays. C’est dans ces instances temporelles que se cachent les « totems » de la réussite d’un dialogue entre compatriotes.

8. N’oubliez pas d’être des esprits libres face à l’histoire afin de donner une chance à l’innovation politique, mais pas complètement libres en acceptant la contrainte que nous impose l’histoire de préserver ce qu’elle a légué de précieux à notre pays.

9. Les négociateurs ne sont pas de curieux animaux ou des traitres en puissance. Ce sont des hommes et des femmes qui ne sont plus d’accord sur la forme que prend un projet et doivent y retravailler dans le but d’y retrouver du commun sans lequel l’Etat devient un géant aux pieds d’argiles.

10. Définir nos intérêts individuels, corporatistes ou communautaires de manière à ce qu’ils se réalisent en s’inféodant à un objectif collectif qui leur est supérieur, la construction d’un Etat-nation, celui-ci pouvant avoir plusieurs formes.

11. Soyez convaincus et conscients du fait que personne n’incarne le mal absolu de façon définitive ou le bien absolu de façon définitive. Vous êtes tous et toutes des expériences sociales, économiques et politiques différentes. Ces expériences différentes offrent aux Cameroun un questionnement profond sur lui-même s’il veut continuer à exister comme société.

12. Ayez la responsabilité comme éthique, la responsabilité comme méthode, la responsabilité comme aiguillon vers les résolutions finales, et la responsabilité comme question que cette crise pose à chacun d’entre vous.

13. Les multiples conflits et crises qui trament le Cameroun et innervent les arcanes névralgiques de sa société, sont des projecteurs que le temps a choisis pour éclairer ce pays d’un nouveau jour. Profitez de cet éclairage pour mener le pays à bon port en évitant les récifs qui se dressent sur sa route.

14. N’oubliez pas qu’un pouvoir qui recule en tant que pouvoir perd le pouvoir mais qu’il perd toute sa légitimité et le peuple sur qui il doit s’exercer s’il ne pense qu’à ne pas reculer.

15. Un pouvoir qui a le soutien de son peuple a plus de force d’action que celui que ledit peuple vomit de toute sa force.

16. Avoir raison tout seul en politique revient à avoir tort même si tout le monde voit faux et vous juste.

17. Un dialogue inclusif est toujours aussi un dialogue exclusif car inclure c’est exclure ceux qui ne sont pas ouverts au dialogue, ceux qui sont extrémistes, c’est exclure certains points de vue sans compromis, c’est exclure certaines stratégies sans issues.

18. Le respect de la mémoire historique du Cameroun libre est obligatoire. Quelle mémoire défendons-nous ? Celle de la France coloniale, celle de l’Angleterre coloniale ? Ou celle d’Um Nyobè libérateur du Cameroun, protecteur de son unité et panafricaniste ?

19. Se respecter les uns les autres en ayant présent à l’esprit la différence dirimante de votre co-temporalité vécu sous le Renouveau National : les membres du pouvoir vivent leur nirvana sur terre lorsque les « outsiders » sont au centre des feux de leur purgatoire. C’est à ceux qui son pouvoir de prouver le contraire ou de changer le ressenti des autres qui, si rien de concret n’est fait, ne changeront pas de position et garderont le même ressenti. Les angoisses réciproques des uns et des autres doivent faire le lit d’un pouvoir au service de tous.

20. La problématique de l’alternance au pouvoir ne doit pas être taboue. N’oubliez pas que la cause majeure du problème camerounais est une longévité au pouvoir qui ôte à celui-ci toute crédibilité au sein de la masse dont la situation n’a pas changé d’un iota. Une parole vielle de 35 ans de règne n’est plus crédible aux yeux de tous, notamment de ceux qui ont vu leur situation ne pas changer ou même se dégrader. Cela est humain, soyez aussi humains en sacrifiant le règne à vie d’un petit groupe au choix du bonheur de tout un peuple.

* Thierry AMOUGOU est professeur des universités, Fondateur et Animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques Sociales et Politiques. patimayele@hotmail.com

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